La rentrée...
Enfant, j'aimais la rentrée, l'odeur des cahiers neufs et de leurs protège-cahiers, les stylos qui cliquetaient dans la trousse, retrouver les copains et les copines. Plus tard, j'ai adoré le collège avec encore son lot de copines et copains, il y a peu on a recherché tous les noms et prénoms qui nous revenaient avec une copine de l'époque rencontrée par hasard. Le lycée et les études supérieures furent moins drôles mais tout s'est bien passé. Mes deux années de formation à l'école normale furent un vrai bonheur ! Complicité, autonomie, amis, dortoir et super cantine !
Oui, mais, voilà, la rentrée je ne la supporte plus maintenant, il faut dire que j'en suis à ma 48 ème entre mes propres rentrées scolaires et mes rentrées en tant qu'enseignante.
Plus les années ont passé, plus les rentrées ont été stressantes, encore plus celles où je devais jongler avec ma rentrée et celles de mes enfants ! L'entrée en CP de grande ! L’entrée en sixième de Grande ! Peur qu'elle n'arrive pas à se faire des copines, peur qu'elle ait du mal, peur qu'elle se fasse ennuyer. Mes peurs étaient justifiées, tout est arrivé ! J'ai eu peur aussi de la rentrée en sixième de Grand. Peur qu'il n'arrive pas à noter ses cours puisqu'il avait un sérieux problème d'écriture. Mes peurs ne se sont pas vérifiées ! Peur de la rentrée au lycée pour Grande ! Une rentrée épouvantable, on a frôlé la phobie scolaire, puis tout est rentré dans l'ordre enfin presque. Mauvaise orientation, compliqué ! Pour Grand l'arrivée au lycée fut facile, ouf ! Puis ce fut le temps de la fac pour Grande, peur qu'elle n'aille pas en cours, peur qu'elle fasse de mauvaises rencontres, peur, peur, peur, puis une réorientation salvatrice qui a allongé de trois ans les études de ma Grande. Pour Grand j'ai une fois de plus eu moins peur, je le savais plus scolaire et sérieux dans le travail. Par contre, il a vécu une sale année 2020/2021, pas un seul cours en présentiel, seul dans son logement face à son ordi ! Il n'a vu personne, ni profs , ni élèves ! J'ai bien cru qu'il allait craquer à un moment. Aujourd'hui il a passé son oral de mémoire et ça s'est très bien passé, il devrait avoir son année haut la main et rempiler pour sa dernière année d'études, j'ai hâte et lui aussi !
J'ai donc jonglé toutes ces dernières années avec mes angoisses et les leurs. Jonglage plus ou moins bien réussi. Là, je vois le bout pour mes enfants mais, je ne supporte plus MA rentrée ! Chaque année c'est de plus en plus difficile de retourner à l'école, de recommencer une année. L'année dernière fut une année exécrable avec mon élève très difficile. Cette année je savais que j'avais beaucoup moins d'élèves, 21, mais je savais aussi que j'avais un élève difficile encore, ma collègue avait souffert l'année dernière avec lui. Alors je vous raconte ma première journée avec cette nouvelle classe.
Les enfants arrivent doucement, pas un pleur, j'ai gardé une dizaine de mes élèves de l'année dernière et les autres me connaissent tous mis à part deux nouvelles qui arrivent d'autres écoles. Dans la Grande section, je ne rencontre aucun problème, la nouvelle élève est gentille et travaille bien.
En moyenne section c'est une autre histoire, j'ai 7 élèves.
L..dès la première matinée frappe ses camarades à plusieurs reprises sans raison lors du regroupement, de l'atelier et même en motricité. Lorsqu'une énième fois je l'isole, il me montre le poing( me donnera un coup sur le bras), les griffes ( il pose même ses ongles sur mon bras) puis me dit qu'il connait Hulk ! Je lui répond que je n'ai pas peur de Hulk puisqu’il n'existe pas, il me soutient que si, il existe ! Quand je l'isole une nouvelle fois il me dit qu'il va le dire à sa mère ! je lui répond que moi aussi je vais dire à sa mère qu'il m'a mal parlé et qu'il m'a frappée. Il me répond alors que s'il était un crocodile j'aurais peur de lui. Je lui répond qu'il n'est pas un crocodile et que je n'ai pas peur de lui puisqu'il est un enfant ! Ce midi il a donné un coup de pied à l'animatrice de la cantine, il a craché sur des enfants.
N... vient d'arriver dans notre école. Elle est sensée avoir effectué une petite section l'année dernière, elle ne veut pas faire comme les autres, ne tient pas assisse, se couche par terre, ne répond pas quand on l'appelle, fait des colères, gribouille sa feuille, la table et ses mains, renverse la colle sur la table.
H...a du caractère ! Dès le premier jour elle se roule sous la table pour ne pas venir se laver les mains. L'après-midi elle fait une colère parce qu'on lui demande de remettre ses chaussettes qu'elle a enlevées elle-même alors qu'on ne lui avait pas demandé. Elle refuse d'écrire son prénom. Elle ne vient pas non plus quand on l'appelle.
E... est une pile électrique ! Il ne sait pas marcher, non, il court partout, sans arrêt, ne descend pas les escaliers , non, il saute les marches. Ne parle pas, non, il hurle !!! Pour tout, pour rien ! Quand il est content, quand il n'est pas content. Il jette et frappe tout, les cartes, les crayons, les jeux. Il m'épuise!
L, H et E se tapent dessus à longueur de journée, parce l'autre l'a mal regardé ou juste parce qu'il l'a regardé, parce qu'il ne veut pas lui prêter la voiture, le stylo, la feuille, le vélo, le jeu. Parce qu'il ou elle était sur sa route.
Il reste trois élèves qui ont un comportement "ordinaire" je dirais, ils ne frappent pas leurs camarades, ont tout de suite compris les nouvelles règles de la classe, aiment travailler et faire plaisir.
Alors voilà, des semaines avant ma rentrée je dois me travailler au corps pour tenter de supporter tout ça, pour tenter de ne pas stresser, angoisser, pleurer.
Je n'ai tellement plus envie de tout cela que je dois vraiment me conditionner pour réussir à reprendre le travail. Je voudrais tellement être autre part que dans cette classe ! Je voudrais tellement ne plus avoir de contraintes, d'emploi du temps surchargé, de boulot à la maison, d'élèves caractériels à gérer en classe. Je rêve de mes premières rentrées en tant qu'enseignante, elles étaient tellement agréables. J'avais tellement envie d'aller travailler à l'époque !
Il y a des moments où je ne trouve plus rien de positif, des moments ou je panique tellement que je me dis que je ne vais pas, je ne veux plus supporter cela. Et puis il a des moments ou l'optimisme revient. Alors, je l'exprime. E... aujourd'hui a été plus calme, cet après-midi on ne l'a pas entendu crier, en récréation il a été gentil, il a amené une petite fille qui s'était fait mal jusqu'à nous. Il a une bouille tellement craquante ! J'ai moins isolé L....aujourd'hui, j'ai pu lui parler, le raisonner, il ne m'a pas frappée. H...n'a pas enlevé ses chaussettes, elle avait le sourire quand elle a écrit son prénom avec mon aide. Elle est arrivée ce matin en s'écriant:" Maîtresse !!! Tu m'as manqué ! " Alors je me dis que tout n'est pas perdu mais qu'il va falloir encore une bonne dose de courage pour surmonter les mauvais moments et que j'ai de plus en plus de mal à surmonter ces mauvais moments. Et j'ai peur de mes instants de panique où j'ai l'impression de tout faire de travers et de ne plus savoir faire. Ce soir, j'ai fui l'école, j'étais à la maison à 17h15 ! Je crois que cela faisait des années que cela ne m'était pas arrivé !